L’indifférence de l’annulation d’une sentence arbitrale rendue dans l’espace OHADA sur sa reconnaissance en France

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Analyse synoptique de l’arrêt n°20/17923 rendu le 11 janvier 2022 par la Chambre de commerce internationale Cour d’appel de Paris.

Le droit français est historiquement qualifié d’un droit très favorable à l’arbitrage, et à l’arbitrage international en particulier[1]. Cette formule traduit aisément la position adoptée par les juges de la chambre de commerce internationale de la Cour d’appel de Paris dans le présent arrêt rendu le 11 janvier 2022.

La reconnaissance en France des sentences arbitrales étrangères annulées dans leur Etat d’origine ne date pas d’aujourd’hui. La Cour d’Appel de Paris ne fait que s’alignée sur une position jadis adoptée par la plus haute juridiction française[2].

En l’espèce, le litige ayant entrainé la saisine de la Cour d’appel de Paris a opposé l’État du Bénin et une société de droit Suisse (ci-après la SGS). Les deux parties ont conclu un contrat d’entreprise par lequel la SGS s’est engagée à mettre en place un programme de certification de valeurs de douane. Ce contrat régit par le droit béninois était assortie d’une clause compromissoire prévoyant un arbitrage sous l’égide de la Chambre de Commerce Internationale (arbitrage CCI).

À la suite d’un litige né du non-respect par l’État du Bénin de ses engagements contractuels, la SGS a introduit conformément à la clause compromissoire, une procédure d’arbitrage devant la CCI de Paris. Saisi du litige, le tribunal arbitral siégeant à Ouagadougou (Burkina-Faso) a rendu une sentence partielle par laquelle, il se déclarait compétent à connaître du litige. Dans la foulée, l’État du Bénin a saisi le Tribunal de Première Instance de Cotonou qui annulait le contrat litigieux le liant à la SGS. Il a attaqué ensuite la sentence partielle rendue par la CCI devant la Cour d’Appel de Ouagadougou (juridiction de siège de l’arbitrage) qui rejeta le recours en annulation. Saisi du litige, la CCJA par arrêt du 27 février 2020, annule la sentence arbitrale.

Malgré, cette annulation de la sentence partielle rendue, le Tribunal arbitral a rendu une sentence finale condamnant l’État du Bénin à payer à son cocontractant diverses sommes au titre de factures impayées, outre les intérêts moratoires. L’État du Bénin a attaqué à nouveau la sentence devant la Cour d’appel de Ouagadougou qui cette fois-ci fera droit à la demande d’annulation par arrêt rendu le 20 décembre 2020. Loin d’être finie cette bataille judiciaire, la SGS a sollicité et obtenu l’exequatur de la même sentence devant le Tribunal de Grande Instance de Paris.  Cette décision fût immédiatement attaquée devant la Cour d’Appel de Paris par l’État du Bénin.

La Cour d’Appel de Paris avait à répondre à la question de savoir si les décisions des juridictions étrangères méconnaissant la compétence d’un tribunal arbitral institué sous l’égide de la CCI de Paris peuvent faire obstacle à la reconnaissance ou à l’exécution en France d’une sentence rendue par ledit tribunal.

Pour répondre, la Cour d’Appel de Paris a relevé que la sentence litigieuse étant une sentence internationale, elle n’est rattachée à aucun ordre juridique étatique, elle est une décision de justice internationale dont la régularité est examinée au regard des règles applicables en France et l’annulation de ladite sentence par les juridictions du siège n’emporte aucune conséquence sur sa reconnaissance.

Afin de tirer un meilleur enseignement de cet arrêt, il conviendra d’analyser la notion de sentence internationale (I) et de revisiter les règles applicables en droit OHADA et français en matière de reconnaissance d’une sentence étrangère (II).

I-          La notion de sentence internationale

Il faut dire que la notion de sentence n’a pas fait l’objet d’une définition légale ni en droit OHADA ni en droit français mais l’on retient d’emblée qu’une sentence est l’aboutissement d’une procédure d’arbitrage. Plus simplement, c’est la décision du tribunal arbitral par rapport au litige. De la solution de la Cour d’Appel de Paris, l’on peut déduire que les effets d’une sentence varient selon le type d’arbitrage (arbitrage interne ou international, mixte ou transnational, ad ’hoc ou institutionnel). En l’espèce, la sentence litigieuse peut bien être l’aboutissement d’un arbitrage international ou mixte ou encore d’un arbitrage délocalisé.

En effet, l’arbitrage international « désigne celui qui met en présence des sujets de droit international. Il s’agit donc de l’arbitrage de droit international public »[3].  L’article 1er § 3 de la loi type de la CNUDCI dispose :

Un arbitrage est international si : a) les parties à une convention d’arbitrage ont, au moment de la conclusion de ladite convention, leur établissement dans des Etats différents ; ou b) un des lieux ci-après est situé hors de l’Etat dans lequel les parties ont leur établissement : i) le lieu de l’arbitrage, s’il est stipulé dans la convention d’arbitrage ou déterminé en vertu de cette convention ; ii) tout lieu où doit être exécutée une partie substantielle des obligations issues de la relation commerciale ou le lieu avec lequel l’objet du différend a les liens les plus étroits ; ou c) les parties sont convenues expressément que l’objet de la convention d’arbitrage a des liens avec plus d’un pays.

L’arbitrage est transnational ou mixte lorsqu’il met en relation un État (sujet de droit international) et une personne privée étrangère (cas de l’arbitrage CIRDI qui tranche les litiges entre Etats et personnes privées étrangères relativement aux litiges portant sur des investissements). L’arbitrage « délocalisé » est celui qui est détaché de tout système juridique national, d’une part, et, d’autre part, qui ne relève pas du droit international public. Il a été créé par la pratique des institutions permanentes d’arbitrage à caractère privé (cas de la CCI) ; il relève du droit forgé par ces personnes privées[4].

La distinction entre les différents types d’arbitrage retrouve tout son sens dans le présent arrêt. En effet, selon les juges de la Cour d’appel de Paris, la sentence issue d’un arbitrage international « n’est rattachée à aucun ordre juridique étatique ». Le raisonnement des juges aurait été différent si la sentence litigieuse ne présentait aucun élément d’extranéité. Dans ce contexte, la sentence arbitrale est autonome et s’apprécie selon les règles de l’État où sa reconnaissance est demandée.

II-        Les règles applicables en matière de reconnaissance d’une sentence arbitrale en droit OHADA et français

Saisie du recours en annulation contre la sentence partielle rendue par le Tribunal arbitral, la Cour d’Appel de Ouagadougou par arrêt du 21 septembre 2018 a rejeté ledit recours. Toutefois cet arrêt sera cassé par la CCJA. Dans l’appréciation de ce pourvoi, la CCJA en tant que juridiction suprême s’est bornée à relever que le Tribunal arbitral était incompétent pour trancher le litige entre la République du Bénin et la société SGS au motif que le contrat litigieux avait été annulé par le TPI de Cotonou avant la saisine du Tribunal arbitral.

Il faut relever que la CCJA s’est fourvoyée dans l’appréciation du pourvoi qui lui était soumis dans le mesure où le contrat litigieux comportait une clause compromissoire à laquelle les parties n’ont pas renoncé. C’est donc à juste titre que la société SGS a saisi un Tribunal arbitral. La CCJA a manqué de relever dans sa décision le principe de l’autonomie de la clause compromissoire qui aurait fondé le rejet du pourvoi formé par l’État du Bénin. Il s’ensuit que la décision de la CCJA n’est fondée sur aucun motif d’annulation édicté par l’article 26 de l’Acte Uniforme relatif au droit de l’arbitrage[5].

Cependant, lorsque les juges de la Cour d’appel de Paris ont été saisi du recours en annulation, ils ont procédé à l’examen dudit recours conformément aux articles 1520 et 1525 du code de procédure civile. Aux termes des dispositions de l’article 1520 précité,

Le recours en annulation n’est ouvert que si :

1° Le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent ; ou

2° Le tribunal arbitral a été irrégulièrement constitué ; ou

3° Le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée ; ou

4° Le principe de la contradiction n’a pas été respecté ; ou

5° La reconnaissance ou l’exécution de la sentence est contraire à l’ordre public international.

L’article 1525 du même Code prévoit explicitement que :

La décision qui statue sur une demande de reconnaissance ou d’exequatur d’une sentence arbitrale rendue à l’étranger est susceptible d’appel. L’appel est formé dans le délai d’un mois à compter de la signification de la décision. Les parties peuvent toutefois convenir d’un autre mode de notification lorsque l’appel est formé à l’encontre de la sentence revêtue de l’exequatur. La cour d’appel ne peut refuser la reconnaissance ou l’exequatur de la sentence arbitrale que dans les cas prévus à l’article 1520[6].

À l’analyse des dispositions des articles précités, l’on ne peut qu’affirmer que les juges de la Cour d’appel de Paris ont fait une parfaite appréciation des éléments de la cause. En effet, Il est prévu dans le contrat litigieux que tout litige qui résulterait du contrat sera soumis à un arbitrage selon le règlement d’arbitrage de la CCI de Paris et le Tribunal arbitral siègera dans un pays de l’UEMOA autre que le Bénin. C’est donc par pur chicane que l’État du Bénin prétend que la reconnaissance de la sentence finale se heurte à l’autorité de la chose jugée du juge du TPI de Cotonou. Cette fois-ci cet argument n’a nullement prospéré devant les juges français.

Le présent arrêt a le mérite de relever que l’appréciation de la validité d’une sentence varie selon le type d’arbitrage et selon les règles applicables en la matière. La CCJA aurait méconnu son office… ? Le débat reste ouvert…

Me Gagnon Yawo TOBLE, avocat à la Cour, Associé-Gérant de la SCP TOBLE et associés.

[1] A.Bailly et X. Haranger, « La reconnaissance et l’exécution en France des sentences arbitrales étrangères annulées dans leur Etat d’origine », disponible sur https://www.morganlewis.com/fr/pubs/2020/09/recognition-and-enforcement-in-france-of-foreignarbitral-awards-set-aside-in-their-state-of-origin. (consulté le 20/03/2023).
[2] Voir Cass. Civ 1ère., 23 mars 1994, n° 92-15.137 ; Cass.civ 1ère., 29 juin 2007, n° 05-18.053.
[3]P. MEYER, « Droit de l’arbitrage », Revue de l’ERSUMA, Octobre 2009, p.10.
[4] A. MOULOUL, « L’arbitrage dans l’espace OHADA », Ohadata D-10-12, 28 janvier 2010, p.3.
[5] Aux termes des dispositions de l’article 26 : « Le recours en annulation n’est recevable que : a) si le tribunal arbitral a statué sans convention d’arbitrage ou sur une convention nulle ou expirée ; b) si le tribunal arbitral a été irrégulièrement composé ou l’arbitre unique irrégulièrement désigné ; c) si le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui a été confiée ; d) si le principe du contradictoire n’a pas été respecté ; e) si la sentence arbitrale est contraire à l’ordre public international ; f) si la sentence arbitrale est dépourvue de toute motivation ».
[6] C’est nous qui surlignons.
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