L’activité de zone wifi au Togo, entre licéité et illicéité ?

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Depuis quelques années, l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (ARCEP) du Togo effectue un travail formidable pour sauvegarder le droit des consommateurs des services internet face aux géants que représentent les fournisseurs de ce service. La récente affaire de wifi zone qui a opposé Togocom à ses clients en est une illustration.

Dans un communiqué en date du 15 février 2023, la société TOGOCOM déclare qu’elle va procéder à la désactivation des lignes fibre à usage domestique, mais transformées en wifi-zone. L’opérateur de téléphonie soutient que cette activité est illicite (https://yop.l-frii.com/fibre-togocom-mauvaise-nouvelle-pour-ceux-qui-exploitent-la-connexion-pour-creer-des-wifi-zone/) .

La réponse du régulateur ne s’est pas fait attendre. Quelques heures plus tard, l’ARCEP s’est autosaisie de la question et y répond. Le régulateur estime que l’activité de wifi zone est une activité licite lorsqu’elle est exercée dans le respect du cadre légal et réglementaire régissant les communications électroniques au Togo (https://arcep.tg/l-activite-du-wifi-zone-est-licite-au-togo/).

Tout en analysant l’argumentaire de l’autorité de régulation (I) nous verrons dans quelle mesure la position de Togocom n’est pas complètement condamnable (II).

I. Le WIFI ZONE, une activité licite sous condition

L’ARCEP soutient que l’activité de wifi zone est un service à valeur ajoutée (A). Elle est licite lorsqu’elle est exercée dans le respect du cadre légal et réglementaire régissant les communications électroniques au Togo (B).  

A. L’activité de wifi zone est un service à valeur ajouté.

Pour comprendre ce qu’est un service à valeur ajoutée, il faut se référer à l’article 4 de la LCE[1]. Cette disposition définit les services à valeur ajoutée comme « les services fournis par Ie biais d’un service de communications électroniques en sus du service de communications électroniques en utilisant nécessairement les capacités des réseaux publics de communications électroniques ». Cette définition ne fournit aucune explication réelle de ce qu’est un service à valeur ajoutée. Celle donnée par l’Organisation Mondiale du Commerce est plus explicite. Selon l’OMC, « les services de télécommunication à valeur ajoutée sont des services dans le cadre desquels les fournisseurs “ajoutent une valeur” aux informations fournies par le client en améliorant leur forme ou leur contenu ou en prévoyant leur stockage et leur recherche »[2].

Mais alors quelle valeur ajoutent les exploitants du service wifi zone aux informations fournies par leur client ? Pour le régulateur, les exploitants dudit service apportent nécessairement de la valeur aux informations fournies par leur client. Il souligne que le wifi zone est un service qui participe à l’inclusion numérique en permettant aux consommateurs à faibles revenus d’accéder au haut débit fixe à des tarifs beaucoup plus abordables que les tarifs prohibitifs en entrée de gamme de l’internet mobile au Togo. L’argument est pertinent et juste; le wifi zone rend moins coûteux et donc plus facile l’accès des populations à l’internet. C’est rapidement vérifiable. 500 FCFA te donne accès à 1 GO de connexion internet auprès d’un fournisseur de Wifi zone alors que 600 FCFA te donne accès à 300 Mo auprès de Togocom. Cela explique la ruée des consommateurs vers les fournisseurs Wifi zone. Voilà pourquoi le régulateur lance un appel aux fournisseurs d’accès à internet de proposer des offres alternatives favorables à l’activité de Wifi zone. 

Cette activité bien que n’étant pas interdite, doit respecter, pour être licite, le cadre légal des services à valeur ajoutée.     

B. Le wifi zone exercé dans le respect des lois et règlements

Le cadre légale et réglementaire est constitué de trois textes : la loi sur les communications électroniques (LCE), le décret portant sur les régimes d’activités des communications électroniques[3], et la décision n°226/ARCEP/DG/22 déterminant les catégories et les conditions techniques d’exploitation des appareils de faible puissance et de faible portée et les conditions techniques d’utilisation des fréquences pour les services soumis au régime de d’établissement libre.

L’article 10 de la LCE dispose que l’exploitation des services de communication tels que la fourniture de services à valeur ajoutée est soumise à la déclaration auprès de l’autorité régulateur et au respect des formalités de cahiers de charge prévues à l’article 6.1 de la même loi[4].

L’article 33 du décret pose le même principe de déclaration tout en détaillant le régime de la déclaration en ce qui concerne les pièces à fournir et la procédure à suivre. 

La décision sur les dispositifs composés d’appareils de faible puissance et de faible portée pose quant à elle le régime d’installation de ces dispositifs. Si l’installation et l’exploitation de ces appareils sont libres, c’est à condition qu’ils soient agréés et respectent certaines spécifications techniques figurant sur une liste joint à la décision[5].

Pour l’ARCEP, l’activité de wifi zone n’est donc pas illicite tant qu’elle est exploitée dans le respect des dispositions ci -dessus rappelées. Il invite donc les fournisseurs de ce service à se conformer au régime.

II. Le Wifi Zone, une activité possiblement illicite

Bien qu’étant en soi licite, les parties peuvent s’interdire par contrat l’activité de wifi zone (A).  Dans ce cas, l’exercice d’une telle activité en violation du contrat peu être considéré comme illicite. Mais c’est à condition que la clause d’interdiction respecte l’ordre public (B).

A. L’activité de Wifi zone interdit dans le contrat

Pour déclarer l’activité de wifi zone illicite, TOGOCOM s’est fondé sur l’article 7.2 des conditions générales Produits et services. Cet article prévoit que «l’Abonné s’engage à utiliser l’Offre, le Produit ou le Service pour ses besoins propres dans le cadre d’un usage privé. Toute autre utilisation, sous quelque que forme et en quelque lieu que ce soit, est illicite et abusive, notamment toute commercialisation, tout partage du Service ou toute utilisation du Service non conforme au cadre défini dans son offre commerciale. 

L’Abonné s’interdit toute utilisation à but lucratif ou rémunératrice des Offres, Produits et Services ainsi souscrits, excepté pour certains services spécifiques (cas des offres à destination des Cybers, sous réserve des conditions et modalités spécifiques définies par l’Opérateur). Le partage de l’accès avec des personnes extérieures au foyer ou à l’organisation dans le cas de personnes morales est prohibé… »[6].

Il en ressort clairement que l’offre souscrite par les abonnés de Togocom n’est pas destinée à un usage public. Or l’activité de wifi zone consiste justement à créer des points de connexion wifi, à codifier l’accès et à partager le code à toute personne intéressée contre une redevance. Certains fournisseurs de ce service le font à but lucratif, avec une intention purement commerciale. D’autres en revanche, le font dans une logique de coopération. C’est-à-dire que, ne voulant pas supporter seuls les frais d’abonnement, les consommateurs se mettent ensemble pour participer au paiement de l’abonnement. Dans les deux cas, on quitte le cadre de l’usage privé et dès lors, cette activité enfreint l’article 7.2 des CGPS de Togocom. De ce point de point de vue, le raisonnement de Togocom nous paraît acceptable. Les CGPS ont valeur contractuelle et l’on sait que le contrat a valeur de loi entre les parties. Il reste à rappeler que les CGPS ne sont opposables aux abonnés qu’à condition que ceux-ci en ont reçu communication et l’ont acceptées. On comprend donc que l’illicéité excipée par Togocom est contractuelle. Le régulateur n’est pas du même avis.

Est-ce que le communiqué de l’ARCEP condamne complètement la position de Togocom ? Cela en a tout l’air si l’on s’arrête à une analyse superficielle dudit communiqué. En effet, en déclarant que l’activité de wifi zone est licite, le régulateur réfute nécessairement la position contraire.

B. La clause d’interdiction non contraire à l’ordre public

Il y a une subtilité à souligner lorsque les parties elles-mêmes ont prévu au contrat ne pas faire l’activité de wifi zone.

En effet, comme expliqué plus haut, dans le cas de Togocom, dans les conditions générales de Produits et services, l’abonné s’est engagé à utiliser le service dans le cadre d’un usage privé. Le contrat stipule que tout autre utilisation est illicite et abusive. 

Sauf disposition d’ordre public, cette clause est valable et s’impose aux parties. Or, sauf erreur ou omission de notre part, rien dans la réglementation qui régit les communications électroniques au Togo, n’interdit l’usage limité (privé/public) que les parties ont prévu faire du service ou produit. S’il est vrai qu’aucune clause ne peut déroger au régime de déclaration des services à valeur ajoutée auprès de l’ARCEP, il n’en est pas moins en ce qui concerne l’usage public ou privé que les abonnés s’engagent à faire du service ou du produit. Autrement dit, les parties peuvent décider de s’interdire l’usage public du service sans que cela n’enfreigne aucune réglementation. 

Cela dit, dans l’état actuel des offres de Togocom, l’activité de wifi zone est illicite. L’ARCEP est sans doute consciente de cette vérité. En invitant les fournisseurs d’accès à internet à proposer des offres alternatives favorables à l’activité de Wifi zone, le régulateur reconnait que les offres actuelles ne permettent pas de pratiquer cette activité.

Quoiqu’il en soit, les fournisseurs sont désormais tenus de modifier leurs conditions générales Produits et Services, pour qu’elles permettent l’activité de wifi zone. Les exploitants de ce service sont quant à eux tenus de se conformer à la réglementation relative au service à valeur ajoutée.

Patrice Ekoué SATCHI

Juriste d’affaires / Elève Avocat

[1] Loi n°2012-018 du 17 décembre 2012 sur les communications électroniques.

[2] https://www.wto.org/french/tratop_f/serv_f/telecom_f/telecom_coverage_f.htm#value (consulté le 02/03/2023).

[3]Décret n°2014-088/PR du 31 mars 2014 portant sur les régimes d’activités des communications électroniques

[4] «L’exploitation des services de communication électroniques ci-après est libre sous réserve d’une déclaration auprès de l’autorité de régulation : – les services de communications électroniques autres que le service de téléphonie au public ; – La fourniture de services à valeur ajoutée. L’exploitation des services de communications électroniques ci-dessus est soumise au respect de règles définies par l’Autorité de régulation portant sur les points figurant à l’article 6.1 de la présente loi».

[5]Art 5 de la décision n°226/ARCEP/DG/22 «L’installation et l’exploitation des appareils de faible puissance et de faible portée et les réseaux locaux radioélectriques doivent être conformes aux spécifications techniques figurant à l’annexe 2 de la présente décision. Ces appareils doivent être agréés conformément à la réglementation en vigueur. L’utilisation des fréquences par les appareils de faible puissance et de faible portée est soumise au strict respect des conditions fixées à l’annexe 2 de la présente décision…».

[6]Cette disposition a été en partie recopiée dans le communiqué de Togocom sans que la source ne soit précisée.

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